La dolce vita
Aujourd'hui, je vous sers un poème issu des chansons à boire (Khamriyyât) d'Abû-Nuwâs, né vers 757 de l'ère chrétienne dans le sud-Ouest de l'Iran actuel pas loin de la frontière avec l'Irak, mort à Bagdad vers 815 et contemporain de Charlemagne...
Ce qui a fondé sa réputation, c'est sa poésie bachique et érotique. Ses poèmes chantent, entre autres, la joie de vivre et laissent transparaître un caractère de jouisseur et de libertin. Ce grand poète maudit a laissé derrière lui la réputation d'un incorrigible ivrogne et d'un homosexuel notoire...
Laisse le vent du Sud disperser la poussière
des campements détruits par le malheur des temps!
Mais au rude chameau laisse un arpent de terre,
pour qu'il puisse trotter dessus tout son content!
Là ne poussent que l'acacia et l'arbre à soie
et l'hyène et le chacal sont gibier de misère.
Des Bédouins, n'attends pas d'agrément,
quel qu'il soit,
car leur vie est aride comme le désert.
Laisse-les se nourrir du lait de bêtes maigres,
puisque, à leurs yeux, c'est le meilleur des aliments.
Et, lorsque le lait frais a tourné au lait aigre,
tu peux pisser dessus, sans inconvénient.
Mieux vaut un vin clairet, si agréable à boire
-courtoisement servi par un bel échanson-,
surtout s'il a longtemps mûri dans une jarre:
sans le secours du feu, on obtient sa cuisson.
Ce bon vin, on dirait qu'il gronde dans la jarre,
comme un curé qui marmonne devant la croix.
Tu le prendras des mains d'un garçon nasillard:
d'un petit de gazelle on reconnaît la voix.
Il a appris son art des soins de sa nourrice
et il s'épanouit, coquet et parfumé.
Quand il marche, on peut voir la lourdeur
de ses cuisses
et sa tunique se soulève à point nommé.
Qu'on lui donne du vin, pour qu'il se laisse faire
et dénoue, en jouant, ses pantalons bouffants.
Lors, prends-le dans tes bras, et tu seras content
de constater qu'il a tout ce qu'il faut pour plaire.
Ca, c'est la vie! Et c'est loin des tentes nomades...
C'est ça, la vie, et ce n'est pas boire du lait.
Qu'est le désert, auprès d'un merveilleux palais,
ou l'enclos à moutons -auprès des esplanades ?
Dame Censure, tu voulais me convertir ?
Désolé! Je ne tiens pas à me repentir...
Abû -Nuwâs (1998)Le vin, le vent, la vie. Actes Sud.