Lumière sur Lumière II
(...) Paradis vient d'un mot persan qui signifie jardin. Ce jardin m'enseigne quotidiennement quels diadèmes matutinaux il recèle et quels souffles nocturnes complotent pour éteindre, en moi et hors de moi, le quinquet vacillant. Le jour est parfois ma nuit et la nuit soudaine fulguration, triomphe archaïque du harpon d'ivoire ou du soc au métallique éclat. Le poème naît tantôt de l'accord harmonique, tantôt de cette fêlure qu'on sent en nous, de cette tragique discontinuité qui, à jamais, nous interdit de nous motter au creux des choses, telles des perdrix au ras des labours gelés, dans l'attente instinctive d'on ne sait quel soleil ragaillardi.
Heureusement, le lieu où l'on passe est toujours fondateur, et exaltant le regard porté sur lui. Marais ou moissons, garrigues ou toundras, peu importe. En cela, l'homme qui débarque sur la lune, dans un paysage exclusivement minéral, revit l'épreuve initiatique de tous les matins humains, le baptême de la lumière comme on dit qu'il existe, pour les combattants, un baptême du feu. Remarquons à quel point les grands espaces laissés intacts par nos entreprises prométhéennes stimulent notre onirisme géographique, lui offrant des pertuis par où nous avons hâte de nous échapper. Torrides ou glacés, les déserts sont peuplés de portes ouvertes!(...)
Guy Féquant, La lampe d'argile, carnet d'un marcheur, éditions la manufacture, 1992, page 71.