LA TESSITURE DE LA TASSAOUT
a yadrar mqqurn, kullu iugrn idrarn d kiyi
ikka k d ugharas uflla, lkibr iharm
O la pente la plus haute, le chemin te passe dessus !
Evitons le pêché d'orgueil (sagesse berbère)
Je vous invite à une balade dans les hauteurs de l'Atlas et plus particulièrement dans la vallée de la Tassaout, pays de la célèbre poétesse Mririda dont voici deux poèmes:
Comment aurais-je le temps…
Comment aurais-je le temps d’écouter mon cœur
Qui voudrait me parler de celui que j’aime,
De celui qui ne sait pas que je l’aime tant…
Idder n’a pas vingt ans et je les ai à peine.
Je n’ai pas un seul soir pour lui ouvrir mon cœur.
Le travail sans arrêt occupe tous mes jours.
Comment aurais-je le temps de songer à l’amour ?
Il y a le grain à moudre et les vaches à traire,
La cruche à la source et le feu des repas.
La journée est trop courte pour la besogne à faire.
Il y a l’herbe aux champs et le bois en forêt,
Le pain à cuire et le linge à la rivière.
Et morte de fatigue, je m’écroule le soir…
L’aurore est loin encore lorsque je me lève
Et la nuit faite depuis longtemps quand je m’endors…
Quand aurais-je le temps de songer à l’amour ?
Que veux-tu… ?
« …Que veux-tu, fille du village d’en bas,
Pour m‘accorder ce que tu penses ?
On dit que tu n’es point farouche
Et moi aussi je rêve de ton étreinte.
Voici ma seule pièce d’argent, la seule.
Le colporteur te vendra le savon parfumé,
Un peigne, un miroir, que sais-je ?
Par mon cou ! De Demnat, si tu veux,
Je te rapporterai un foulard de soie !
- Qu’ai-je besoin, fils des hauts pâturages,
De pièce d’argent ou de foulard de soie !
- Alors, dis-moi ce que tu désires
Pour m’accorder ce que tu penses,
O jolie fille du village d’en bas.
Devrais-je donc te proposer mariage ?
- Mon rire éclate, fils des hauts pâturages !
Ni d’argent ni de foulard je ne me soucie,
Et encore bien moins de mariage…
J’attends de toi ce que tu attends de moi
Et, satisfaits tous deux, nous serons quittes.
Ce que je veux, musculeux fils des pâturages,
Ce que je veux, c’est l’abri de ce buisson
Où tu seras sur ma poitrine tendue
En un moment de bonheur plus doux que le miel,
Tandis que mes yeux se perdront dans le ciel ! »
Ces poèmes de Mririda N'aït Attik à l'origine en langue berbère tachelhit ont été traduits par René Euloge, voyageur français des années 20, et publiés aux éditions Belvisi en 1992 dans un livre magnifié par des photographies et qui porte un titre mélodieux " Les chants de la Tassaout".
Présentation : « Dans leur simplicité, leur rudesse et leur sincérité, ces chants venus de la vallée de la Tassaout enclavée dans le Haut Atlas, parlent de la Femme, de l'Homme, de la Terre avec une telle authenticité, une telle vérité qu'ils abordent l'Universel.
Au centre des récits, chants et poèmes, se trouve l'Amour dans sa fougue, sa brutalité, son ardeur avec en contrepoint le cri de la liberté de la prostituée-poète Mririda.
Autour de ce thème, viennent se greffer la violence du rapport homme-femme, leur lutte quotidienne contre une nature hostile et omniprésente et la pesanteur de la tradition de ces "populations demeurées ignorées jusqu'au début de ce siècle ayant échappé à tout contact avec le reste du monde et ayant conservé mœurs et coutumes ancestrales".
Trois protagonistes rendront compte de cet univers et de la charge poétique de ces textes. Le jeu entre ces trois personnes sera ponctué par la tendresse, l'ironie, l'indifférence, le rejet. Au centre, la femme-mémoire se confiera à Mririda, évoquant le plaisir, l'attente, le mépris, la fierté.
En contrepoint de cette présence féminine, se tiendra l'Homme tour à tour amant, amoureux évincé, étranger, passant. » (extrait d'un article du Le Temps du Maroc)
« René Eutoge fut sans doute, au début des années 20, le premier étranger à parcourir les régions reculées du Grand Atlas, ses plus hauts sommets et ses plus profondes vallées . Par son talent original et vigoureux, René Euloge, peintre, a su nous faire connaître dans ses aquarelles lumineuses et pleines de poésie les aspects saisissants du Haut Atlas, les coutumes des habitants, nous fait participer en quelque sorte à leur existence quotidienne, celle d'autrefois souvent épique mais non moins dure d'aujourd'hui. » (présentation du Mincom)