Espace, couleurs, lumière
Dans la chambre, la reproduction, en très grand format, d'une toile dont le nom du peintre n'était pas indiqué, était collée sur un mur face au lit. Le dépouillement y était encore plus poussé que chez Klee, l'image -une apothéose de jaune intense et d'orangé striés par une ligne blanche surlignée de gris vert et rehaussés de taches verdâtres- évoquait un pan de soleil. Voilà donc ce que Pierre aimait voir dès qu'il se réveillait et au moment de se coucher: un haut rectangle de soleil, et en lavant sa vaisselle: un paysage en damier vibrant délicatement au rythme de tons ocre, vert pâle, mauves, bleu lavande et de lin, jaune paille et mirabelle. Espace, couleurs, lumière, pas de figuratif.
Sylvie Germain, L'inaperçu, roman, Albin Michel, page 164.
Il a récupéré le grand poster de la chambre de Pierre (...).Au dos de la reproduction, une étiquette était collée, lui révélant enfin le nom du peintre : Marc Rothko. Une huile sur toile de grandes dimensions, peinte en 1953. Henri n'a pu s'empêcher de remarquer que l'année était celle de sa naissance. Un détail au fond insignifiant, mais qui a resserré le lien qui l'attachait à ce tableau. "Image de l'instant de ma conception, celle de ma gestation, ou celle de l'éblouissement subi à ma sortie des limbes ?", s'est-il demandé en découvrant cette coïncidence. Mais la vraie question était plutôt : comment parvenir à éprouver, chair et esprit, dans toutes les fibres de ses muscles, de son coeur, dans tous ses nerfs et jusque dans ses os, dans toutes les fibrilles de ses sens et les circonvolutions de son cerveau, le goût, le son, la tonalité de ce jaune, comment pénétrer dans cette splendeur d'incandescence sans s'y dissoudre, jouir de cette lumière en toute intelligence ?
Sylvie Germain, L'inaperçu, roman, Albin Michel, pages 193-194.
Nulle part
Nulle part
quelqu'un n'a pas posé sa main sur ma nuque
aussi le manque n'a-t-il pas de visage
il est là simplement comme un toucher froid
un rappel de la parfaite solitude
lumière en l'oeil si crue qu'elle en casse l'oeuf
la tête est aussi ravagée par l'éclat
oh le verre pilé le clou dans la langue
la couronne d'orties autour du regard
aucune image ne lavera tout ça
Nulle part 3
jeté vif dans l'instant précis le coeur flambe
la tête brûle ses torchons de mémoire
une fumée prend ciel et joue au nuage
ici et là-bas s'enlacent au bout des yeux
pur mouvement pour rendre le tu au tu
Nulle part, poèmes de Bernard Noêl, Le Reste du voyage, P.O.L., 1997 pages 51, 71 et 75.
Fort heureusement...
Préliminaires
1, 2, 3 MA...
Qu'y a-t-il de commun entre Mali, Maroc et Madagascar ? Leur syllabe initiale ! D'où le nom de ce groupe musical exceptionnel : 3MA
Ce trio se compose du malgache Rajery qui joue de la Valiha, une sorte de cithare tubulaire en bambou, du malien Ballake Sissoki à la Kora (harpe, luth mandingue) et du marocain Driss El Maloumi au Luth (oud). J'ai eu la chance d'assister à leur spectacle lors d'une soirée mémorable dans l'intimité d'une demeure traditionnelle à Fès.
Matin désert
Une voix féminine venue de Mauritanie! A découvrir et à déguster sans restrictions! J'aime particulièrement cet album Dunya sorti en 2002 , probablement en raison de son métissage musical qui déborde les canons du répertoire traditionnel (Sur Deezer, écoutez entre autres Mahma el houb)
En cliquant sur l'image à gauche, vous pouvez en savoir davantage sur cette artiste et découvrir l'ampleur de son talent!
En tout cas, un coup de coeur pour moi!
Plis de l'impossible oubli
Il est temps de
se taire
de ranger les accessoires
les costumes
les rêves
les douleurs
les cartes postales
Il est temps de fermer la parenthèse
arrêter le refrain
vendre les meubles
nettoyer la chambre
vider les poubelles
Il est temps d'ouvrir la cage
des canaris qui m'ont prodigué leur chant
contre une vague nourriture
et quelques gobelets d'eau
Il est temps de quitter
la maison des illusions
pour le large d'un océan de feu
où mes métaux humains
pourraient enfin fondre
Il est temps de quitter l'enveloppe
et s'apprêter au voyage
Nos chemins se séparent
ô mon frère l'évadé
J'ai de la folie
mon grain propre
Un choix autre
de la séparation
J'ai ma petite lumière
sur les significations dernières
de l'horreur
Une fois
une seule fois
il m'est arrivé d'être homme
comme l'ont célébré les romances
Et ce fut
au mitan de l'amour
L'amour
quoi de plus léger pour un havresac
Alors je m'envole
sans regret
j'adhère au cri
l'archaïque
rougi au feu des déveines
et je remonte d'une seule traite
la chaîne des avortements
Je surprends le chaos
en ses préparatifs
Je convoque à ma transe noire
le peuple majoritaire des éclopés
esprits vaincus
martyrs des passions réprouvées
vierges sacrifiées au moloch de la fécondité
aèdes chassés de la cité
dinosaures aussi doux que des colombes
foudroyés en plein rêve
ermites de tous temps
ayant survécu dans leurs grottes
aux bulldozers de l'histoire
Je ne me reconnais d'autre peuple
que ce peuple
guéri du rapt et du meurtre
du vampirisme des besoins
des adorations
des soumissions
et des lois stupides
Je ne me reconnais d'autre peuple
que ce peuple
non issu de la horde
nuitamment nomade
laissant aux arbres leurs fruits
aux animaux la vie sauve
se nourrissant du lait des étoiles
confiant ses morts
à la générosité du silence
Je ne me reconnais d'autre peuple
que ce peuple
impossible
Nous nous rejoignons dans la transe
La danse nous rajeunit
nous fait traverser l'absence
Une autre veille commence
aux confins de la mémoire
Fragments d'une genèse oubliée, poèmes de Abdellatif Laâbi.
Sur les traces d'André Gide et de Henry de Montherlant
C'était le 5 avril dernier. Le séjour de Pierre tirait vers sa fin. Notre dernière virée ensemble allait se faire à proximité de Fès. A une vingtaine de kilomètres justement. Nous avons effectué une boucle qui passe par la fameuse station thermale de Moulay Yacoub, continue sur les villages (douars) Jouaber, Es-Sebt et Mikkes en longeant les cours d'eau de Oued Lmaleh (la rivière salée) et Oued Mikkes (voir tracé en vert sur la carte).
Nous avons débarqué à Moulay Yacoub en début d'après-midi. Ce qui explique que l'activité était au ralenti! En raison de la torpeur de la sieste, il n'y avait relativement ni grande agitation ni bousculades autour des échoppes qui longent les marches des rues construites en pente.
Dans un café, lieu par excellence où mes concitoyens se complaisent à assassiner le temps, tous les regards étaient focalisés sur le petit écran d'une télévision où se déroulaient les péripéties d'un match de foot...J'ai été également frappé par le décor d'une petite échoppe spécialisée "musique" (cassettes et CD) . A quelques arpents de là, j'ai déniché, bien camouflés sur des murs décrépis, les génies du lieu! Pour le reste, voici une petite fiche info glanée sur le Net : "Les eaux chaudes de Moulay Yacoub sont de par leur minéralisation, leur température et leur débit, les plus importantes et les plus intéressantes du Maroc pour leurs vertus thérapeutiques. Il s'agit d'une eau hyperthermale, véritable eau de mer soufrée. Cette station connue déjà dans les années 30 accueillait André Gide et Henry de Montherlant. Elle est réputée pour soigner Les rhumatismes, certains eczémas, urticaires, cellulite, les névralgies et névrites (surtout la sciatique) affections chirurgicales osseuses, affections gynécologiques.
A quelques vingt kilomètres de Fès, au creux d'une vallée, parmi des montagnes dénudées d'un paysage lunaire, se cache le village sacré de Moulay Yacoub accroché à flanc de colline. Depuis des siècles les pèlerins viennent pratiquer leurs dévotions auprès des sources et des guérisseurs locaux. Au cœur de la ville au sommet d'une colline, se trouve le tombeau de Lalla Chafia, fille de sultan, qui selon la légende mourut désespérée parce que son père voulait la marier contre son gré. Les anges emportèrent le corps de la jeune vierge au sommet de la montagne qui domine Moulay Yacoub. Depuis, les pèlerins qui veulent exaucer un vœu, doivent à midi, gravir sans s'arrêter la pente qui mène à son tombeau.
Dans Moulay Yacoub , vous pourrez profiter des nombreuses échoppes ,
des bars et de l'ambiance vivante du village ; possibilité de profiter
également du hammam au centre du village , juste à côté de l' hôtel .
Ce sont les Romains qui les premiers ont découvert les vertus des eaux
thermales marocaines.
La source de Moulay Yacoub malgré sa modernisation en station thermale,
continue d'être un lieu sacré. Au cours de l'année les gens du bled
viennent pratiquer leurs dévotions en pèlerins individuels, tandis
qu'après les semailles du printemps et avant les labours d'automne, les
tribus affluent en pèlerinage collectif, "Les Moussems".
Dans les temps anciens les vertus curatives de l'eau de Moulay Yacoub
étaient attribuées à un magicien surnaturel et on assiste encore
aujourd'hui aux pratiques millénaires du pèlerinage thermale.
Antérieures à l'islam comme aux religions juives ou chrétiennes, ces
pratiques doivent présenter quelque rapport avec le culte gaulois au
dieu Borvo dont le nom laisse sa trace dans les stations thermales de
La Bourboule, Bourbonne les bains, Bourbon-Lançy.
La station de Moulay Yacoub dispose de 2 stations thermales, la plus ancienne qui se présente sous forme de hammam et une plus récente qui dispose d'équipements modernes."
Après ce petit bain sec, nous avons décidé de continuer notre petite route qui serpente au milieu des champs en fleurs, surplombe le tracé blanc du lit des oueds et les douars perchés sur leurs collines...
Arrivés à un coude de l'oued Mikkes, nous avons marqué un temps d'arrêt pour admirer la devanture d'un atelier de mécanique. Nous avons ensuite rejoint la route nationale. La nuit commençait déjà à tomber...
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