La chimère marine
Le destin frissonne sur les mers
Les anneaux de la légende se brisent
et voici les précipices
Laisse-nous alors semer nos rives de coquillages
amarrer notre arche sur Sannine*
Laisse-nous foudroyer la chimère marine
ô maître de la légende
Et lorsqu'au départ du soleil quittant la ville
les cloches et la route sangloteront
réveille pour nous, ô flamme du tonnerre sur les collines
réveille pour nous le Phénix
Nous acclamerons la vision de son feu triste
avant le matin, avant qu'elle ne soit dite
Nous porterons ses yeux tout le long du chemin
au retour du soleil sur la ville
Le retour de soleil, poème d'Adonis.(*Sannine = montagne du Liban)
...qu'interrogation dans le vent...
Je n'étais qu'interrogation dans le vent
Et me suis fait mirage sans écho
Je suis vague et langage.
Un jour je me fondrai dans l'apocalypse et le brouillard
Laissant closes toutes les portes de l'infini en attente du diable.
Le fleuve des instants s'accroupit dans le jardin des fleurs.
Les bouches sont figées.
Elles n'expriment qu'une litanie
De tourment et de désespérance
Et l'immensité du passé nous lie au zéphyr et au zéro.
Rire encore et toujours
Provoquer les gouvernants
Refuser
Sentir la honte
Regretter ses fautes
Se réjouir
Vanter ses oeuvres
Mourir
Se révolter
Dire "non" au pouvoir
Dire "oui" à la révolution,
La liste est longue. Elle est vivace et froide.
Ici, ni mort, ni écho. Chacun est artisan de sa liberté.
En deçà le futur s'oxyde.
Même si tu médites longuement
Tu ne fais face qu'au vide.
Il n'est ni beau ni effrayant
Il est le chaos à l'origine de l'univers.
Il peut t'entraîner, sans que tu le saches,
Dans des paradis et des enfers que jamais tu n'as imaginés.
Le mieux est de nous résigner
Pour ne pas être victimes de ces dinosaures
Qui nuit et jour nous entourent
Ou de ceux qui nous font sursauter le matin
Lorsque nous prenons notre café
Et posons devant nous les clés rouillées du monde.
Florilège, poème de Jean Dammou, Irak.
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Ces images ont été réalisées au bord de mer. A la manivelle. Le 16 août, j'ai publié en avant première une image issue de cette série ici
Petites notes sédatives du tilleul
(...)
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
(Rimbaud, "Roman", oeuvres poétiques )
La vie jusqu'à la lie...
Comme un essaim...
Comme un essaim au seuil de la vraie porte,
je fais mon jour,
avec la peur comme escorte.
Les bleus genêts du temps
recouvrent
le chemin du retour.
Qui me rendra mésanges à ma portée,
qui me rendra les blancs cristaux de mes années ?
O pain ma lampe éteinte
et dont le feu se consume
puis, brusquement, comme une plainte
se rallume !
Qui me rendra la forme juste des plaies,
le fleuve nonchalant où les courants succombent
et l'arbre nu pour la lumière
et les petits tueurs avec leur fronde
et le verre qu'on ne finit jamais de vider ?
Jean Cayrol
Mélodie bleue
SUR LES AILES DE LA MUSIQUE
Il aurait dit sans doute que la radio était allumée depuis longtemps mais il n'y prêtait guère attention dans les allées et venues, les appels, les conversations d'un étage à l'autre qui préparaient le départ. Mais soudain ! Quelle musique tout autre! Deux voix de femmes qui se répondent avec une majesté et une simplicité qu'il n'eût jamais supposées possibles. Un dialogue, mais qui serait tout autant un jeu d'échos, de reflets tant la seconde voix paraît retracer, du point où elle l'écoute, la forme de la première, bien que non sans une ombre d'hésitation quelquefois, qui ressemble à de la tristesse. - En viendra-t-il à penser, lui qui écoute aussi, maintenant, et avec déjà quelle fièvre ! que c'est comme une montagne qui se réfléchirait dans un lac, dont l'eau ne se riderait qu'avec beaucoup de douceur, troublant à peine l'image ? Ou comme une couleur - un rouge presque grenat, hanté de bleu - qui a trouvé dans une autre, étendue auprès, la consonance qui ne défait pas pour autant sa solitude, son repli sur soi, son silence? Mais ce serait alors se fermer à l'impression qui le gagne aussi, d'un changement que la plus jeune des voix introduit quand même dans la figure de l'autre; et qui fait que ce signe est modifié peu à peu, jusqu'au moment où peut-être, sans qu'on l'ait su à temps, il sera devenu tout à fait autre. Non, ce n'est pas une eau qui dort, ce répons, c'est un fleuve en son haut pays, et l'amont va prendre fin, un matin, l'eau va couler dans des terres basses où la cime qui s'y redoublait hier encore ne sera plus aux lointains que ce rouge ou bleu qui s'embrume. Ce chant a en lui le mystère de la répétition infinie, mais il est aussi une attente, il connaît l'angoisse de la durée.
YVES BONNEFOY (1987) L'origine de la parole, publié dans Récits en rêve, Mercure de France.