Aux confins de l'infini...
(…)
Je me suis mis en route pour Erfoud.
Timadriouine.
Tinerhir.
Aït Aissa-Oubrahim.
Désert rouge : poussiéreux, pierreux, rocheux.
Un peu plus loin, le rouge du désert vire au jaune. Plus loin encore, c’est une étendue de pierres noires, métalliques. Ici et là, de petites volutes de sable, tournoyant et tourbillonnant à travers tout le paysage.
A Erfoud, je vais à une station-service demander le chemin de Merzouga.
En entendant « Merzouga », un homme se précipite vers moi.
« Promenade aux dunes ?
- Non, seulement le chemin de Merzouga. »
Il s’apprête à me répondre quand une voix autoritaire le rappelle à l’ordre.
« Je ne suis pas guide, dit-il brusquement. Je ne connais pas. Le guide, c’est lui. Il connaît le chemin. »
L’autre type s’approche et pousse le premier sur le côté d’un geste brutal.
« Promenade aux dunes ?
- Non, merci. »
Je recueille finalement l’information auprès d’un passant. Il fallait aller jusqu’au bout du macadam. Puis on devait suivre une piste jalonnée tous les cent mètres par de petits piquets vert et blanc.
Dunes roses sur l’horizon.
J’arrive à la Kasbah Oudika.
Un bâtiment en pisé. Neuf chambres. Toit en troncs de cèdre et de bambou. Dans l’entrée, une cage avec trois perroquets.
La kasbah Oudika était la propriété d’un Français, Michel.
Dans sa famille, la tradition voulait que les hommes s’engagent dans les compagnies méharistes du Sahara. Michel était donc entré à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Mais, pour des raisons de santé, il avait dû abandonner. Sans jamais oublier le désert. Après quelques années, il avait réussi à ouvrir cette auberge au bord du néant.
J’étais assis dans la salle principale, en train de boire un café après mon repas, quand un Anglais entra, la septantaine énergique, guide de son état et sûr de lui, parlant fort, accompagné d’une touriste américaine, une femme d’environ trente-cinq ans. Ils s’assirent à une table derrière moi.
« Enfin, de l’eau – j’ai eu soif toute la matinée.
-Mais il y avait des tonnes d’eau dans le coffre.
-Je n’en savais rien.
-Vous n’avez pas dit que vous vouliez de l’eau.
-J’ai demandé où elle était. »
Un silence, lourd d’une certaine tension, dans les relations diplomatiques anglo-américaines.
A six heures, j’étais allongé dans le patio sous un figuier, quand le vent se leva. D’abord un souffle, puis un sifflement, puis un hurlement. Peu après, l’orage éclata : éclairs, tonnerre, pluie. De la porte du jardin, je pouvais voir des lumières de phares disséminées au loin dans la masse grise et venteuse : tantôt une isolée, tantôt une longue file irrégulière.
Avant le dîner, conversation entre des Français de Perpignan :
« C’est trop simpliste d’être religieux, mais c’est trop simpliste de dire qu’il n’y a rien…Ce qui me gêne, ce sont les gens trop sûrs : il y a, il n’y a pas…Je réfléchis beaucoup…Il me semble qu’il doit y avoir «quelque chose » - entre guillemets…Je ne crois en rien que je puisse me représenter…Ceux qui croient qu’on vit et qu’on meurt, je crois moi que le cycle est plus général que ça…L’important, c’est de se poser des questions.»
Non, ma petite dame, l’essentiel, c’est d’aller au-delà des questions.
Dans le désert.
A cinq heures le lendemain matin (…) j’ai commencé à marcher vers le sud. C’était l’aube.
Seuls le vent qui soufflait et le picotement du sable sur ma peau. Puis le soleil apparut, palpitant, jetant ses rayons, faisant naître des ombres le long des lignes pures, creusant les courbes, tandis que le vent continuait à soulever le sable en une fine fumée au-dessus des crêtes.
Dans son Livre des merveilles, Marco Polo parle du « chant des dunes ». Il dit qu’en traversant le Gobi il entendait « les esprits parler », ainsi que « le son de plusieurs instruments surtout des tambours ». Les Touaregs évoquent le même phénomène, qu’ils appellent « la voix des morts ». Des hommes des compagnies méharistes françaises disaient aussi l’avoir entendu.
Je n’ai entendu, pour ma part, aucune musique. Seulement un silence brûlant.
Kenneth White (2006) Le rôdeur des confins, Albin Michel.