Surprise du jour
Il y a une papeterie dans le centre-ville, à cinq cents mètres de l'hôtel. Elle est minuscule. Quatre stylos, deux images pieuses et trois livres poussiéreux en vitrine. Je pourrais entrer dans la grande librairie en face, mais non, je préfère celle-là : là où il y a moins, je trouve plus. Je viens d'acheter, en même temps qu'une rame de papier blanc, une reproduction d'une peinture de Turner. Je ne l'aurais sûrement pas remarquée dans la grosse librairie. Un paysage de bord de mer. Un mélange de lumières, les unes boueuses, les autres aériennes. Cette image est parfaite. Je l'ai appuyée contre le mur, sur la table. Elle me sert de miroir.
Quand la lumière, la vraie, celle que les peintres désespèrent d'attraper, glisse chaque matin entre les fentes des volets, elle vient rayer le mur au-dessus de ma tête, dans le lit. Ouvre, elle me dit, ouvre vite, il y a une surprise pour toi. La surprise c'est un jour de plus, différent de tous les autres. J'ai l'oeil aiguisé sur les détails, je sais voir les petites singularités, je ne sais même voir que ça.
Christian Bobin (1995), La folle allure. Roman. Gallimard