Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Photoeil
Photoeil
Publicité
Derniers commentaires
29 juin 2007

Le chant a cappella de la vie

photoeil

L’or des jours

On a chanté la ville ses éclats
de voix de lumière de rire
on a chanté ses peuples
ses cours ses miracles

le tremblement de l'eau
de l'oiseau ou de l'herbe
la lente sauvagerie végétale

la Beauté de tout bord
et on l'a injuriée.

On a chanté les labyrinthes
où se perd le chanteur
qui se cherche et se plaint

le moi ses mille et un mensonges
ses manies ses petites morts
et sa langue mielleuse

l'intervalle divin du silence
le soupir dans lequel s'épanouit
le sourire du bouddha

Tous les chants sont usés
mis en boite
en cubes en disques en vers
réduits développés chiffrés
déchiffrés
criés balbutiés éructés
ânonnés
archivés

reste
l'enfantine la claire
l'obscure
nécessité de chanter

                            chaque instant veut l'éternité du chant

Je chanterai l'olivier stérile
penché sur l'abîme aux pentes vertes
je descendrai
             entre les châtaigniers
                                les chênes,
                                            les ronces
                                                    les bouleaux
et tous les entrelacs végétaux anonymes
unis pour entraîner les anciennes terrasses de pierre
que les hommes d'autrefois avaient maçonnées de leur sueur

j'irai jusqu'au cours d'eau
qui ne voit jamais le soleil

Je chanterai le cocotier velu
ses palmes jaunissantes
sous sa tête verte

Je chanterai le figuier célibataire
un peu plus haut chaque année
ses fruits à peine formés qui
tombent au sol et je chanterai ses racines
qui préparent en secret
l'effondrement de la maison

je chanterai le pêcher frêle
que ses quatre pêches épuisent

le laurier sombre et parfumé
qui descelle pierre à pierre l'ancien mur

je chanterai le rosier survivant
sans fleurs sans feuilles
branche sèche dans la terre
lançant dans le ciel
de jeunes tiges vertes
hautes et presque nues

la sauge nouvelle
lentement jaillie
d'un pied qui paraît mort

le citronnier en pot
qu'on rentre pour l'hiver

je chanterai aussi
le bourdonnement des insectes
la chute brutale et prématurée d'une figue
je chanterai le chant
des oiseaux leurs pépiements
leurs gazouillis leurs cris leurs croassements
le chant des cigales
le chant du vent
le saut du chat dans l'herbe sèche

et tant pis si nos bras
sont trop petits les mots
trop rares trop
pauvres pour embrasser
l'étendue et la multiplicité
d'une seule seconde
de perception

même si
mon chant passe aussi vite
que ce qu'il chante

même si
nul ne l'écoute jamais

même si
je dois chanter sans bouche
sans voix sans art
sans mot presque
je chanterai
chaque aujourd'hui

Marie-Florence Ehret, L'or des jours, Dumerchez.

Publicité
Publicité
24 juin 2007

Le chasseur d'images

Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son coeur pur, son corps léger comme un vêtement d'été. Il n'emporte point de provisions. Il boira l'air frais en route et reniflera les odeurs salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d'ouvrir les yeux. Les yeux servent de filet où les images s'emprisonnent d'elles-mêmes.

La première qu'il fait captive est celle du chemin qui montre ses os, cailloux polis, et ses ornières, veines crevées, entre deux haies riches de prunelles et de mûres.

Il prend ensuite l'image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le ventre, comme si on jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe une pluie fine, la rivière a la chair de poule.

Il lève l'image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d'une alouette ou d'un chardonneret.

Puis il entre au bois. Il ne se savait pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd aucune sourde rumeur, et, pour qu'il communique avec les arbres, ses nerfs, se lient aux nervures des feuilles.

Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le village.

Dehors, il fixe un moment, au point que son oeil éclate, le soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon ses lumineux habits, ses nuages répandus pêle-mêle.

Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et longuement, avant de s'endormir, il se plaît à compter ses images.

Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d'elles en éveille une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s'accroît de nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour chantent le soir, à l'abri du danger, et se rappellent au creux des sillons.


Jules Renard : Histoires naturelles

chasseur_images

16 juin 2007

La dolce vita

Aujourd'hui, je vous sers un poème issu des chansons à boire (Khamriyyât) d'Abû-Nuwâs, né vers 757 de l'ère chrétienne dans le sud-Ouest de l'Iran actuel pas loin de la frontière avec l'Irak, mort à Bagdad vers 815 et contemporain de Charlemagne...

Ce qui a fondé sa réputation, c'est sa poésie bachique et érotique. Ses poèmes chantent, entre autres, la joie de vivre et laissent transparaître un caractère de jouisseur et de libertin. Ce grand poète maudit a laissé derrière lui la réputation d'un incorrigible ivrogne et d'un homosexuel notoire...

Laisse le vent du Sud disperser la poussière

des campements détruits par le malheur des temps!

Mais au rude chameau laisse un arpent de terre,

pour qu'il puisse trotter dessus tout son content!

Là ne poussent que l'acacia et l'arbre à soie

et l'hyène et le chacal sont gibier de misère.

Des Bédouins, n'attends pas d'agrément,

quel qu'il soit,

car leur vie est aride comme le désert.

Laisse-les se nourrir du lait de bêtes maigres,

puisque, à leurs yeux, c'est le meilleur des aliments.

Et, lorsque le lait frais a tourné au lait aigre,

tu peux pisser dessus, sans inconvénient.

Mieux vaut un vin clairet, si agréable à boire

-courtoisement servi par un bel échanson-,

surtout s'il a longtemps mûri dans une jarre:

sans le secours du feu, on obtient sa cuisson.

Ce bon vin, on dirait qu'il gronde dans la jarre,

comme un curé qui marmonne devant la croix.

Tu le prendras des mains d'un garçon nasillard:

d'un petit de gazelle on reconnaît la voix.

Il a appris son art des soins de sa nourrice

et il s'épanouit, coquet et parfumé.

Quand il marche, on peut voir la lourdeur

de ses cuisses

et sa tunique se soulève à point nommé.

Qu'on lui donne du vin, pour qu'il se laisse faire

et dénoue, en jouant, ses pantalons bouffants.

Lors, prends-le dans tes bras, et tu seras content

de constater qu'il a tout ce qu'il faut pour plaire.

Ca, c'est la vie! Et c'est loin des tentes nomades...

C'est ça, la vie, et ce n'est pas boire du lait.

Qu'est le désert, auprès d'un merveilleux palais,

ou l'enclos à moutons -auprès des esplanades ?

Dame Censure, tu voulais me convertir ?

Désolé! Je ne tiens pas à me repentir...

Abû -Nuwâs (1998)Le vin, le vent, la vie. Actes Sud.

vieille_bouteille_w

8 juin 2007

La vie jusqu'à la lie...

Comme un essaim...

Comme un essaim au seuil de la vraie porte,

je fais mon jour,

avec la peur comme escorte.

Les bleus genêts du  temps

recouvrent

le chemin du retour.

Qui me rendra mésanges à ma portée,

qui me rendra les blancs cristaux de mes années ?

O pain ma lampe éteinte

et dont le feu se consume

puis, brusquement, comme une plainte

se rallume !

Qui me rendra la forme juste des plaies,

le fleuve nonchalant où les courants succombent

et l'arbre nu pour la lumière

et les petits tueurs avec leur fronde

et le verre qu'on ne finit jamais de vider ?

Jean Cayrol

Fond

3 juin 2007

Comme un rayon à la dérive

Une île avec sa forêt sombre,

un grand corps étendu

où la lumière pose ses mains invisibles.

Un oeil surpris à désirer

des sentiers naissants, des chambres heureuses.

Une phrase qui invente sa vision,

son mûrissement, ses gouffres, ses rumeurs,

et toi qui traverse des ponts interminables.

Lionel Ray (1993),  Comme un château défait, Gallimard

sombre_foret

Publicité
Publicité
Publicité