L'Amour est ma religion et ma foi
J'ai choisi cette image pour illustrer une ode d'Ibn Arabi. Cet andalou né à Murcia en 1165 et mort à Damas en 1250 était poète, philosophe et l'une des grandes figures du soufisme de son temps. Ce poème est extrait de son recueil " Le chant de l'ardent désir" (Tourjoumân al-achwâq ).
La traduction française de cette ode intégrée en caractères arabes à l'image est la suivante :
Auparavant, je méconnaissais mon compagnon
Si nous n'avions la même croyance.
A présent, mon coeur est capable de toute image :
Il est prairie pour les gazelles, cloître pour les moines,
Temple pour les idoles, Kaaba* pour les pèlerins,
Tables de la Thora et livre saint du Coran.
L'Amour seul est ma religion,
Partout où se dirigent ses montures
L'Amour est ma religion et ma foi.
( * Kaaba : sanctuaire au coeur de la Mecque)
Il existe une version chantée de ce poème par Amina Alaoui, belle voix arabo-andalouse. Cette interprétation vocale figure sur son disque intitulé "ALCANTARA". Voilà ce qu'elle en dit:
" Il est bien plus simple de traduire Alcàntara au sens propre, qu'au sens figuré; révélateur d'une longue histoire. Alcàntara en arabe signifie : le pont.(...)Plusieurs ponts en Espagne portent ce nom de nos jours, ainsi qu'une ville frontalière du Portugal dans la région d'Extremadura. D'anciens écrits attestent l'existence du pont Alcàntara (encore actuel) joignant les deux rives du Tage de la ville de Tolède, et bien d'autres disparurent ou furent débaptisés comme Alcàntara Del Darro de Grenade, ou le fort d'Alcàntara de Valence emporté par les inondations en 1080.
Ce que j'entends dans Alcàntara c'est "cantar", un pont de chants qui se conjugue au futur "cantara": chantera. Une histoire qui résonne comme un chant à l'humanité.
(...) Alcàntara constitue un témoignage de ces moments privilégiés de coexistence, de convivialité, de communion de savoir et de dialogue dus au respect des différences, malgré les aléas de l'histoire,et non pas simplement une élégie posthume aux illustres figures du passé. Cet âge d'or fut! Cela nous renvoie actuellement au problème moral du déni des différences, du racisme et du repli sur une identité autarcique. Serions-nous capables de réinventer un nouvel âge d'or de tolérance ? Cette évocation lyrique peut-elle être une relecture symbolique de l'histoire à travers l'art vers une nouvelle Renaissance à l'aube du XXIèe siècle ? (Amina Alaoui)
C'est cette interprétation que je vous invite à écouter...
http://www.dailymotion.com/video/xl4sy_ode-dibn-arabi
Ode d'Ibn Arabi
envoyé par TooBanal
Tremplins
Les photographies de ce diaporama sont extraites d'une série dans laquelle j'ai essayé d'intervenir sur le paysage. Néanmoins, il ne s'agit pas, comme dans certaines pratiques du land art, de meubler de façon massive, monumentale et non neutre la nudité ou le vide présumé d'un lieu...
Le recours de façon emblématique au verre réfléchissant (chutes de miroir) est dicté par la nécessité d'utiliser un matériau qui interfère en résonance avec l'intégrité du milieu : à l'origine, le verre c'est du sable.
Dans le dialogue qui s'instaure entre le sable et le verre, c'est la complémentarité entre la nature et la culture qui est mise en avant.
Néanmoins, on peut se poser la question du héros de G. Perec ( L'Homme qui dort, page 150, Denoël, 1967)qui scrutait d'un oeil morne et rivé à la glace : " Quel secret cherches-tu dans ton miroir fêlé ? "
Spéculaires
SISAO
Cogito, erg sum
Une passion dans le désert
L'indispen-sable matière !
"Sable pâle, à peine doré, ivoire, parfois presque blanc des jeunes dunes au bord de l'erg; dunes vives qui cherchent encore leur place et leur modelé. Sable oxydé, roussi, sable rose orangé des dunes centrales, mortes, plus hautes et massives. Sable lourd et lisse, épandu en larges plis de velours. Sable fauve et soyeux comme un pelage. Sable léger comme une vapeur que le vent emporte des cimes. Sable glacé de la nuit; sable brûlant de midi, mais si doux aux pieds nus et toujours accueillant aux corps que la fatigue a meurtris. Sable fluide et si pur qu'il peut remplacer pour le nomade, l'eau des ablutions religieuses. Sable multiforme, changeant, mouvant, vivant, inoubliable, dont la nostalgie vous reste au coeur comme celle de tous les nobles paysages, de la montagne ou de la mer." (Odette du Puigaudeau, Tagant, pages 234-5)
Est-ce que ça vous tente ?
Selon un dicton arabe, "le désert est le jardin d'Allah d'où le Dieu des justes a enlevé toute vie humaine ou animale superflue afin de pouvoir disposer d'un espace où il puisse cheminer en paix." Cela demeura ainsi jusqu'au jour où mort de fatigue, il gagna l'ombre fraîche et accueillante d'une tente...
Ce jardin censé être vide regorge d'une multitude de signes qui émanent des vivants et la tente des nomades en fait bien partie.
Dans le discours rudement aride du désert, la présence -comme entre parenthèses- d'une telle demeure vous interpelle et vous rassure comme une petite phrase au ton conciliant de sérénité...
Et une fois qu'on fait le tour de cette habitation, on se rend compte que l'espace en naît et s'y résume !
En effet, appréhendée de l'extérieur, la tente, par ses formes singulières et dépouillées, entre en résonance parfaite avec ce qui l'entoure.
En effet, il est facile de saisir et de souligner l'entente formelle entre l'articulation harmonieuse des lignes et des masses de la tente et l'expansion alentour du paysage dunaire. L'usage du grand angulaire et l'approche matiériste peuvent aider à renforcer dans ce cas la continuité et l'étagement en profondeur entre les plans proches et lointains.
Ces tentes d'un autre monde sont le plus souvent en laine, fruit de la tonte des chèvres et des dromadaires. La trame de ce matériau naturel subit l'action du vent, du sable, du chaud et du froid. Avec les aléas du temps, elle se distend, s'effiloche et se perce ouvrant davantage la tente à la respiration du ciel...
Certaines images du diaporama exploitent ces accidents, ces distensions et ces perforations aléatoires de la trame. Elles se fondent sur la figure rhétorique de la "mise en abyme" pour ouvrir la tente sur l'espace extérieure de la dune. Elles fonctionnent également comme une métaphore du diaphragme en exploitant le relâchement des fibres tissées pour créer une interface ou un effet de grille de type moucharabieh (données sensorielles filtrées, lumière dosée ou tamisée...etc.) entre l'occupant de la tente et le monde extérieur.
Par ailleurs, à la faveur de ces interstices, la lumière s'infiltre ou se distille comme une "poussière d'étoiles", ce qui donne l'impression que la voûte est constellée et à l'instar d'un temple, la modeste tente semble refléter le monde céleste ! Dans le Psaume 104, l'apparition de Yahvé dans le désert est décrite en ces termes: "Drapé de lumière comme d'un manteau, il déploie les cieux comme une tente".
A ce propos, Mircea Eliade rapporte dans l'un de ses ouvrages que "de (...) nombreux peuples s'imaginent le ciel comme une tente; la voie lactée est la couture; les étoiles, les trous pour la lumière".
Deux des images proposées dans le diaporama mettent en valeur ce foisonnement étourdissant de la lumière, en montant l'équilibre fragile et fugace du clair-obscur, au point que la structure interne de la tente, en suspension, transparaît magnifiée à travers des compositions de facture purement abstraites.
Avec les lignes ascendantes et droites de la base et celles plus courbes qui obliquent depuis le dôme, la tente se déploie autour de ses doubles piliers croisés comme pour indiquer les points cardinaux.
En face ou au centre, le spectateur semble fixé au milieu de la giration universelle...Pur vertige ou vibration contagieuse de la lumière !
Alors, vous venez dans ma tente ?
Hamadryades
Dans son ouvrage intitulé " Livre des questions", le poète Edmond Jabès nous dit : "Regarde le visage devenir branche. Et la branche fleurir pour le visage. De l'aune au sapin, du baobab opulent au fusain du flâneur, regarde le monde improvisé des arbres vieillir et mourir dans le visage de l'homme ".