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24 février 2007

Mélodie bleue

SUR LES AILES DE LA MUSIQUE

         Il aurait dit sans doute que la radio était allumée depuis longtemps mais il n'y prêtait guère attention dans les allées et venues, les appels, les conversations d'un étage à l'autre qui préparaient le départ. Mais soudain ! Quelle musique tout autre! Deux voix de femmes qui se répondent avec une majesté et une simplicité qu'il n'eût jamais supposées possibles. Un dialogue, mais qui serait tout autant un jeu d'échos, de reflets tant la seconde voix paraît retracer, du point où elle l'écoute, la forme de la première, bien que non sans une ombre d'hésitation quelquefois, qui ressemble à de la tristesse. - En viendra-t-il à penser, lui qui écoute aussi, maintenant, et avec déjà quelle fièvre ! que c'est comme une montagne qui se réfléchirait dans un lac, dont l'eau ne se riderait qu'avec beaucoup de douceur, troublant à peine l'image ? Ou comme une couleur - un rouge presque grenat, hanté de bleu - qui a trouvé dans une autre, étendue auprès, la consonance qui ne défait pas pour autant sa solitude, son repli sur soi, son silence?  Mais ce serait alors se fermer à l'impression qui le gagne aussi, d'un changement que la plus jeune des voix introduit quand même dans la figure de l'autre; et qui fait que ce signe est modifié peu à peu, jusqu'au moment où peut-être, sans qu'on l'ait su à temps, il sera devenu tout à fait autre. Non,  ce n'est pas une eau qui dort, ce répons, c'est un fleuve en son haut pays, et l'amont va prendre fin, un matin, l'eau va couler dans des terres basses où la cime qui s'y redoublait hier encore ne sera plus aux lointains que ce rouge ou bleu qui s'embrume. Ce chant a en lui le mystère de la répétition infinie, mais il est aussi une attente, il connaît l'angoisse de la durée.

YVES BONNEFOY (1987) L'origine de la parole, publié dans Récits en rêve, Mercure de France.

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11 février 2007

Apprentissage

Le marabout m'avait prévenu:

"Le désert, c'est un apprentissage" et assurément malin lettré, il ajouta:

"Retiens le mot apprentissage, apprends, tisse, age. Pour connaître le désert, il faut l'apprendre. Pour l'apprendre, il faut savoir en tisser toute la réalité, et pour faire l'oeuvre qui alors lie d'une trame croisée le ciel à la terre, il faut savoir attendre, prendre de l'âge."(Desen Paveert)

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2 février 2007

L'influx des ailes

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           Parfois l’aube  m’écartèle, fait trembler mon cœur comme une proie. Je suis le peuplier assailli. Quelle est la nature de l’émoi : oppression ou joie intense ? Je ne saurais le dire, car je voyage alors aux frontières de toutes choses qui se couplent ou se déchirent. Je suis la bête victorieuse et je suis la bête soumise, je suis la jeune feuille bruissante et je suis la vieille feuille qui se décompose pour devenir terreau et perpétuer les germinations. Je suis tout simplement une zébrure qui vagabonde dans le ciel, entre la blessure du levant et le bleu tumescent de la nuit qui reflue. Je suis l’oiseau tôt levé pour assister à la Genèse qui chaque aube refait le monde. Je suis l’oiseau tôt levé. Dans l’odeur  énervante du café et les bruits vermifères des bêtes aux noms imprécis que la nuit seule autorise. Je suis comme une bête tapie, à la fois attirée par l’ombre et terrorisée par ses spectres. Quelques fantômes du songe me suivent encore. Quelques émerveillements aussi. 

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         Puis la lumière nomme les choses, efface leurs contours effrayants, accuse le franchise des ossatures. L’oiseau cesse d’être une voix, une insistance déchirante. Le jour lui redonne sa grâce, ses attributs d’acrobate. L’oiseau récupère le ciel, le signe d’un chant victorieux. Il se sépare aussi de moi, efface mes désirs d’essor, me restitue à mes laideurs et mes infirmités.

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         Je me retrouve scindé par la douleur. Je divorce d’avec mon rêve, d’avec l’aube trop tumultueuse qui accrédite tous les élans. Mes ailes brimées se rétractent, se contentent de battre en dedans, dans la scansion des viscères et les remous du sang en crue. Je deviens le simple spectateur des joies et des prouesses de l’oiseau qui oublie  (avec moi) que l’aube est aussi l’heure des piloris, l’heure de la clarté qui désigne la proie au prédateur, l’heure de l’éveil qui rappelle la faim à l’affamé.

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        J’aurais tant voulu que chaque départ au matin, chaque lever de camp se fît avec la complicité de l’oiseau –avec ce désir incandescent de redessiner des frontières, d’insuffler au monde la jouvence, d’exterminer la laideur. Mais les jours ressemblent aux aléas des caravanes qui connaissent les pâturages comme les pierres blessantes des regs. Il y a des matins rogues et cadenassés, des matins brouillés de vent de sable. Qui a dit que les errances aboutissent toujours au port ?

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        Quand les vents brouillent nos pistes et que la canicule nous accable, j’entretiens dans mon cœur l’image de l’oiseau fondant sur l’arbre comme ces averses qui nous apaisent quand le ciel acquiesce à notre effort.

Tahar Djaout (1987) L'Invention du désert. Editions du Seuil.

21 janvier 2007

Aux confins de l'infini...

(…)
Je me suis mis en route pour Erfoud.
Timadriouine.
Tinerhir.
Aït Aissa-Oubrahim.
Désert rouge : poussiéreux, pierreux, rocheux.

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Un peu plus loin, le rouge du désert vire au jaune. Plus loin encore, c’est une étendue de pierres noires, métalliques. Ici et là, de petites volutes de sable, tournoyant et tourbillonnant à travers tout le paysage.
A Erfoud, je vais à une station-service demander le chemin de Merzouga.
En entendant « Merzouga », un homme se précipite vers moi.
« Promenade aux dunes ?
- Non, seulement le chemin de Merzouga. »
Il s’apprête à me répondre quand une voix autoritaire le rappelle à l’ordre.
« Je ne suis pas guide, dit-il brusquement. Je ne connais pas. Le guide, c’est lui. Il connaît le chemin. »
L’autre type s’approche et pousse le premier sur le côté d’un geste brutal.
« Promenade aux dunes ?
- Non, merci. »
Je recueille finalement l’information auprès d’un passant. Il fallait aller jusqu’au  bout du
macadam. Puis on devait suivre une piste jalonnée tous les cent mètres par de petits piquets vert et blanc.
Dunes roses sur l’horizon.

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J’arrive à la Kasbah Oudika.
Un bâtiment en pisé. Neuf chambres. Toit en troncs de cèdre et de bambou. Dans l’entrée, une cage avec trois perroquets.
La kasbah Oudika était la propriété d’un Français, Michel.
Dans sa famille,  la tradition voulait que les hommes s’engagent dans les compagnies méharistes du Sahara. Michel était donc entré à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Mais, pour des raisons de santé, il avait dû abandonner. Sans jamais oublier le désert. Après quelques années, il avait réussi à ouvrir cette auberge au bord du néant.

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J’étais assis dans la salle principale, en train de boire un café après mon repas, quand un Anglais  entra, la septantaine énergique, guide de son état et sûr de lui, parlant fort, accompagné d’une touriste américaine, une femme d’environ trente-cinq ans. Ils s’assirent à une table derrière moi.
« Enfin, de l’eau – j’ai eu soif toute la matinée.
-Mais il y avait des tonnes d’eau dans le coffre.
-Je n’en savais rien.
-Vous n’avez pas dit que vous vouliez de l’eau.
-J’ai demandé où elle était. »
Un silence, lourd d’une certaine tension, dans les relations diplomatiques anglo-américaines.

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A six heures, j’étais allongé dans le patio sous un figuier, quand le vent se leva. D’abord un souffle, puis un sifflement, puis un hurlement. Peu après, l’orage éclata : éclairs, tonnerre, pluie. De la porte du jardin, je pouvais voir des lumières de phares disséminées au loin dans la masse grise et venteuse : tantôt une isolée, tantôt une longue file irrégulière.
Avant le dîner, conversation entre des Français de Perpignan :
« C’est trop simpliste d’être religieux, mais c’est  trop simpliste de dire qu’il n’y a rien…Ce qui me gêne, ce sont les gens trop sûrs : il y a, il n’y a pas…Je réfléchis beaucoup…Il me semble qu’il doit y avoir  «quelque chose » - entre guillemets…Je ne crois en rien que je puisse me représenter…Ceux qui croient qu’on vit et qu’on meurt, je crois moi que le cycle est plus général que ça…L’important, c’est de se poser des questions.»

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Non, ma petite dame, l’essentiel, c’est d’aller au-delà des questions.
Dans le désert.
A cinq heures le lendemain matin (…) j’ai commencé à marcher vers le sud. C’était l’aube.

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Seuls le vent qui soufflait et le picotement du sable sur ma peau. Puis le soleil apparut, palpitant, jetant ses rayons, faisant naître des ombres le long des lignes pures, creusant les courbes, tandis que le vent continuait à soulever le sable en une fine fumée au-dessus des crêtes.

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Dans son Livre des merveilles, Marco Polo parle du « chant des dunes ». Il dit qu’en traversant le Gobi il entendait « les esprits parler », ainsi que « le son de plusieurs instruments surtout des tambours ». Les  Touaregs évoquent le même phénomène, qu’ils appellent « la voix des morts ». Des hommes des compagnies méharistes françaises disaient aussi l’avoir entendu.

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Je n’ai entendu, pour ma part, aucune musique. Seulement un silence brûlant.

Kenneth White (2006) Le rôdeur des confins, Albin Michel.

14 janvier 2007

Trois points de suspension...

Soirs de bourres et d'écumes

dans un lâcher d'étés:

comme si s'était accoudé en nous le vertige

dans la montée basanée de l'histoire,

au solstice de quelque chose de déjà trop précoce

et comme s'il s'était agi d'un retard du réel,

de sa défection latente,

d'un liseré de poussière déterminant

le jour juste sous la paupière,

fraction ou décimale ajoutée à quelque lumière

comme d'en distraire la vitesse,

quart obscur sur lequel,

tournoyant et tournant,

l'écriture se rejoue,

bille, toupie, cerceau.

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J'ai longtemps marché sur des échasses,

comme à proximité de moi

assez

suffisamment pour savoir

la taille exacte de l'enfance:

elle est grande, très grande et rien ne lui ressemble,

sauf peut-être l'infiniment petit

tapi dans l'écriture dont elle était l'errance.

Françoise Delcarte (1936-1995): Levée d'un corps d'oubli sur un corps de mémoire.

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6 janvier 2007

Quand la mer se retire...

Alternons sur un mode arbitraire images (faites sans alibi artistique) et  strophes du cimetière marin (de Paul Valéry)...

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Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux!

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Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir!
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.

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Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Oeil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous une voile de flamme,
O mon silence! . . . Édifice dans l'âme,
Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit!

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Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m'accoutume,
Tout entouré de mon regard marin;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l'altitude un dédain souverain.

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Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l'âme consumée
Le changement des rives en rumeur.

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Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.

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L'âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié!
Je te tends pure à ta place première,
Regarde-toi! . . . Mais rendre la lumière
Suppose d'ombre une morne moitié.

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O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d'un coeur, aux sources du poème,
Entre le vide et l'événement pur,
J'attends l'écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l'âme un creux toujours futur!

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Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l'attire à cette terre osseuse?
Une étincelle y pense à mes absents.

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Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!

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Chienne splendide, écarte l'idolâtre!
Quand solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux!

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Ici venu, l'avenir est paresse.
L'insecte net gratte la sécheresse;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air
A je ne sais quelle sévère essence . . .
La vie est vaste, étant ivre d'absence,
Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.

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Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.

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Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant! . . .
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.

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Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L'argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs!
Où sont des morts les phrases familières,
L'art personnel, les âmes singulières?
La larve file où se formaient les pleurs.

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Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu!

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Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge
Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse?
Allez! Tout fuit! Ma présence est poreuse,
La sainte impatience meurt aussi!

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Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse!
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel!

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Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N'est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas!

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Amour, peut-être, ou de moi-même haine?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir!
Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d'appartenir!

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Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Êlée!
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le son m'enfante et la flèche me tue!
Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!

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Non, non! . . . Debout! Dans l'ère successive!
Brisez, mon corps, cette forme pensive!
Buvez, mon sein, la naissance du vent!
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme . . . O puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant.

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Oui! grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l'étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil

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Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!

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18 décembre 2006

A Bluetiful Day !

Où fuir dans la révolte inutile et perverse?
Je suis hanté. L'Azur! l'Azur! l'Azur! l'Azur!

Ces deux vers constituent la chute finale du poème célèbre de Stéphane Mallarmé : L'AZUR que je donne à lire dans son intégralité :

De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.
 
Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant?
 
Brouillards, montez! Versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Qui noiera le marais livide des automnes
Et bâtissez un grand plafond silencieux!
 
Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t'en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.
 
Encor! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Éteigne dans l'horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon!
 
- Le Ciel est mort. - Vers toi, j'accours! donne, ô matière,
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché
À ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché,
 
Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée,
Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...
 
En vain! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angelus!
 
Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse?
Je suis hanté. L'Azur! l'Azur! l'Azur! l'Azur!

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Commentant ce poème, Jean-Michel Maulpoix esquisse avec des traits arachnéens un premier  portrait du poète en ces termes:

"Tel serait le premier portrait d'un Mallarmé exaspéré par le réel et dévoré par l'Idéal à un moment où celui-ci a épuisé ses noms d'emprunt: Dieu, peuple, progrès, Beauté même. L'Azur se réduit à son nerf : le « filigrane bleu de l'âme », tel qu'un peintre chinois en dessine la fleur sur des tasses de porcelaine. La poésie continue de réclamer autre chose, mais elle sait que c'est en vain, et pour rien. Mallarmé surgit au stade terminal du lyrisme romantique : il le mènera jusqu'à l'aphasie, après que Rimbaud lui aura fait rendre son dernier « couac »."

Pour accéder à la totalité de cet article, cliquez ici

9 décembre 2006

Demain, il fera bleu...

"Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure"

Louis Aragon, Les yeux d'Elsa.

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18 novembre 2006

Lentilles-lignes-liens

Michaux  ce grand poète passé à la peinture ou ce grand peintre venu de l'écriture justifiait dans Emergences-Résurgences son incessant va-et-vient entre les deux médiums en ces termes :

"Moi aussi, un jour, tard, adulte, il me vient une envie de dessiner, de participer au monde par des lignes.

Une ligne plutôt que des lignes. Ainsi je commence, me laissant mener par une, une seule, que sans relâcher le crayon de dessus le papier je laisse courir, jusqu'à ce qu'à force d'errer sans se fixer dans cet espace réduit, il y ait obligatoirement arrêt. Un emmêlement, ce qu'on voit alors, un dessin comme désireux de rentrer en lui-même.

(...)C'est la peinture chinoise qui entre en moi en profondeur, me convertit. Dès que je la vois, je suis acquis définitivement  au monde des signes et des lignes. Les lointains préférés au proche, la poésie de l'incomplétude préférée au compte rendu, à la copie.

Michaux

Les traits lancés, voltigeants, comme saisis par le mouvement d'une inspiration soudaine et non pas tracés prosaïquement, laborieusement, exhaustivement façon fonctionnaires, voilà qui me parlait, me prenait, m'emportait.

(...)Si je tiens à aller par des traits plutôt que par des mots, c'est toujours pour entrer en relation avec ce que j'ai de plus précieux, de plus vrai, de plus replié, de plus "mien", et non avec des formes géométriques, ou des toits de maisons ou des bouts de rues, ou des pommes et des harengs sur une assiette; c'est à cette recherche que je suis parti.

Difficultés. Enlisement. "

L'écriture photographique qui use de la lumière en lieu et place des outils du dessin ou de la peinture peut connaître les mêmes errances, les inévitables enlisements, éprouver les mêmes difficultés et se hasarder dans l'univers des surprises...

L'image photographique qui va suivre est issue de mes dérives récréatives...

Je vous l'offre en hommage à Michaux qui m'a appris entre autres que celui " Qui cache son fou, meurt sans voix".

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12 novembre 2006

Patience, patience, patience dans le désert!

Palme

De sa grâce redoutable

Voilant à peine l’éclat,

Un ange met sur ma table

Le pain tendre, le lait plat ;

Il me fait de la paupière

Le signe d’une prière

Qui parle à ma vision :

- Calme, calme, reste calme !

Connais le poids d’une palme

Portant sa profusion !

Pour autant qu’elle se plie

A l’abondance des biens,

Sa figure est accomplie,

Ses fruits lourds sont ses liens.

Admire comme elle vibre,

Et comme une lente fibre

Qui divise le moment,

Départage sans mystère

L’attirance de la terre

Et le poids du firmament !

Ce bel arbitre mobile

Entre l’ombre et le soleil,

Simule d’une sibylle

La sagesse et le sommeil.

Autour d’une même place

L’ample palme ne se lasse

Des appels ni des adieux…

(…)

Paul Valéry, Charmes, Bibliothèque de la Pléiade, Tome I, pages 153-156.

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